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7 Entre hasard et déterminisme: l'observable et le mémorisable



Hypothèse _s   Un événement est observable et mémorisable s'il est statistiquement très improbable qu'il soit engendré par le seul fait du hasard.



L'incertitude, qui doit être surmontée par un processus d'anticipation, comme le suppose l'hypothèse 8, est fondée sur le fait que l'évolution du problème posé peut prendre des chemins différents, apparemment au hasard. Nous considérons qu'il est possible d'échapper en pratique à ces aléas si on regarde cette évolution sur une période de temps adaptée (voir la figure 1.13).
L'exemple donné par la figure 1.13 peut sembler trivial, au premier abord. Cependant, il traduit un phénomène très intéressant: ce qui peut sembler être le résultat du hasard à une certaine échelle montre un caractère déterministe en utilisant une autre échelle. Nous pouvons formuler ce fait d'une autre manière: la probabilité d'apparition d'un événement au hasard, pris à une échelle donnée, peut être relativement élevée, alors que si on modifie celle-ci, il apparaît extrêmement peu probable que cet événement ait été généré par le seul fait du hasard. Ainsi, si on reprend la figure 1.13, il paraît intuitivement très probable que les graphes de gauche et de droite aient été obtenus en prenant des valeurs aléatoirement, alors que la probabilité d'obtenir un graphe ``presque similaire'' 25 à celui du milieu est extrêmement faible. Ainsi, même si cet événement est théoriquement possible, il ne se produira jamais en pratique (sur une durée d'expérience ``raisonnable''). Pourtant, les trois observations dont nous parlons sont issues du même signal.
Ainsi, on peut répertorier dans la nature des cas tout à fait similaires (dans l'esprit) à celui-ci. Gamow 26 en donne quelques exemples probants [Gamow, 1963]. Si on considère une salle close, remplie d'air, et qu'on la divise imaginairement en deux parties de même volume (partie droite et partie gauche), il n'arrivera jamais que l'ensemble des molécules se concentre pendant une durée donnée dans une des deux parties (et heureusement pour la personne qui pourrait être du mauvais côté de la pièce !). Pourtant, la probabilité d'existence de cet événement n'est pas nulle 27. Dans ce cas précis, c'est le très grand nombre de molécules présentes dans la pièce qui rend l'apparition de l'événement très improbable. Mais, si on change d'échelle et qu'on considère un cube clos ayant des arêtes de longueur égale à10-8m, ce qui correspond environ à 10 fois la taille d'une macro-molécule, l'événement devient tout à fait probable. Ce problème d'échelle existe également dans le cas du déplacement d'un ensemble de photons dans un milieu homogène. Pour un photon, la direction de déplacement n'est pas régie d'une manière déterministe, mais par une loi de probabilité: la notion de trajectoire, donnée par la mécanique classique, n'a pas de sens pour le photon. Ainsi, si on considère un milieu homogène, il est extrêmement probable qu'un faisceau lumineux se déplace en ligne droite, si celui-ci a une ``épaisseur'' assez conséquente. Par contre, cela est faux si cette épaisseur devient trop faible (phénomène de diffraction).
Nous donnerons un dernier exemple, extrait de la biologie. Les lymphocytes T, qui sont les cellules sentinelles de notre corps, ont le pouvoir de détecter ``l'ennemi'' (bactérie, virus, etc.) et de le différencier des cellules constitutrices du corps. Cette différentiation s'effectue à partir de récepteurs, situés à la surface du lymphocyte, qui sont fabriqués à partir d'une combinaison spécifique de gènes. Des expériences mettent en évidence que cette capacité est ``apprise'', avant la naissance, et que la spécificité d'un récepteur n'est pas mémorisée a priori dans un gène particulier. En effet, si c'était le cas, et à la vue du nombre potentiel énorme d'agresseurs, il faudrait un nombre de gènes pour mémoriser ces informations bien supérieur au nombre total de gènes. Il semble qu'un récepteur spécifique soit fabriqué à partir de l'activation d'une combinaison déterminée de gènes, et que les ``bonnes'' combinaisons (celles qui correspondent à l'identification d'ennemis réels et non plus potentiels) soient trouvées par hasard avant la naissance. À propos de ce phénomène, citons deux passages de Ameisen 28 [Ameisen, 1999]: ``L'apprentissage qu'a subi notre système immunitaire pendant notre développement embryonnaire et la mémoire, l'empreinte qu'il en conserve, sont un apprentissage et une mémoire du soi, de la nature de notre identité. C'est au travers d'un jeu fascinant avec le hasard et la mort que se construit en nous une armée de cellules qui paraît dotée d'un pouvoir étrange de prévoir l'avenir, et qui nous protégera durant toute notre existence contre la plupart des innombrables incarnations, perpétuellement changeantes, des virus, des bactéries et des parasites qui nous entourent et nous habitent.'' et ``Ainsi, c'est en utilisant à son profit la formidable puissance du hasard que l'embryon bricole, de manière aveugle, son système immunitaire. L'univers des récepteurs qui permettront à nos lymphocytes T, après notre naissance, de nous défendre, n'est pas prédéterminé, il ne préexiste pas tel quel dans la bibliothèque de nos gènes. Il naît d'une forme de loterie qui permet à notre système immunitaire, à partir d'un petit nombre d'informations génétiques, d'arpenter le champ des possibles''.
Nous pensons que ce ``combat'' très intime entre hasard et grand nombre, rendant l'apparition d'un événement soit tout à fait probable, soit très improbable, est au coeur du processus d'adaptation du vivant et qu'il est utilisé pour obtenir le caractère d'anticipation mis en exergue par les hypothèses 8 et 9; cela rejoint, en quelque sorte, les propos d'Ameisen que nous venons de rapporter: le vivant ne subit pas le hasard, mais sait l'utiliser à son avantage, pour engendrer des compétences dont les fréquences d'apparition et de bon fonctionnement font penser qu'elles ont été programmées (d'une manière déterministe).
Dans le cas du déplacement d'un ensemble de photons, la ``trajectoire'' de ce dernier est en accord avec le principe de minimum d'énergie. Lorsqu'on considère un problème d'apprentissage pour lequel le hasard est un élément constitutif du cheminement vers une solution, y-a-t-il un ``guide'' permettant d'aboutir à coup sûr, c'est-à-dire avec une probabilité très proche de 1 ? Et si oui, quelle est sa nature ? Comme nous allons le voir dans la section 1.4, nous pensons que les problèmes liés à l'adaptation en général ont pour cadre ce rapport particulier entre hasard et grand nombre, créant deux zones d'étude pour un même problème (voir la figure 1.14): Notre démarche globale va consister à appréhender le problème de perception/mémorisation/atteinte d'objectif à partir d'un cadre théorique dans lequel le hasard et des règles déterministes coexistent. Ce cadre sera construit de manière à toujours pouvoir maîtriser la limite entre les deux zones antagonistes de prépondérance. Pour fixer cette limite, nous construirons un ensemble de faits dont la fréquence d'apparition n'est extrêmement faible que dans la zone 2.

Figure: Un signal perceptif doit être appréhendé sur une période de temps adaptée pour en distinguer l'évolution avec certitude
\includegraphics{fig/temps.eps}
Un signal sinusoïdal bruité est reçu par le système. On constate aisément que le degré de certitude que nous avons, en tant qu'observateur, concernant la manière dont le signal évolue, dépend de l'échelle de la période de temps sur laquelle on effectue l'observation. Ainsi, pour une durée très supérieure à la période de la sinusoïde (figure de gauche), le signal ``ressemble'' à un signal de densité de probabilité uniforme sur [0,1]: on ne peut pas distinguer son évolution. Pareillement, sur la figure de droite, la période de temps est trop courte pour être certain de l'évolution du signal. Enfin, la figure du milieu expose un cas favorable dans lequel on distingue avec certitude la forme générale de ce signal.

Figure: Les échelles d'étude d'un même problème peuvent conduire à la création de zones particulières.
\includegraphics{fig/hasard_determinisme.eps}


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Frédéric Davesne 2001-07-13