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4 Réflexion à propos de la démarche fonctionnaliste

Le problème central que nous avons évoqué dans les paragraphes précédents est de spécifier un référent de l'intelligence. Le choix de celui-ci impose une voie de recherche particulière et implique des conjectures fortes à propos de la manière dont on aborde le problème.
Actuellement, la reproduction de capacités humaines intelligentes est un enjeu au niveau de la recherche, mais aussi au niveau commercial. Des applications fonctionnelles existent déjà tant au niveau de la reconnaissance vocale et de la compréhension du langage (utilisé pour des serveurs vocaux, par exemple) qu'au niveau d'expertises complexes. Des équipes de recherche progressent dans la mise au point d'humanoïdes (vision, marche, démarche ``sociale'', imitation artificielle d'émotions). Les programmes ainsi construits peuvent utiliser ou non des techniques d'apprentissage pour leur mise au point. Le point commun à tous ces travaux est la démarche d'engineering, guidée par le respect d'un cahier des charges, plutôt qu'une tentative de compréhension profonde des mécanismes humains qui sont imités. Cela ne signifie pas que les développements ne sont pas aidés par un savoir-faire biologique.
Nous souhaitons montrer, dans les lignes qui suivent, que la notion de progrès dans la compréhension de l'intelligence et de l'apprentissage en particulier n'est pas équivalente au fait d'obtenir une imitation très réussie d'un ensemble de comportements intelligents. Cette affirmation peut sembler triviale, voire superflue. Cependant, lorsqu'on analyse l'application de la démarche fonctionnaliste à l'imitation d'un comportement, on s'aperçoit qu'elle rentre en conflit avec la notion même d'adaptation.
Ainsi, si l'on adopte une vision fonctionaliste, on tente d'extraire des caractéristiques objectives d'un problème, indépendantes des propriétés physiques de la machine. Or, en robotique mobile, entre autres, celle-ci est en interaction permanente avec son environnement. Dans ce cas, l'idée fonctionaliste implique que le monde extérieur à la machine (l'environnement, mais aussi les capteurs et les moyens d'action) puisse être vu d'une manière objective (voir la figure 1.5).

Figure: Aspect du fonctionnalisme: nécessité d'un monde pouvant être décrit objectivement
\includegraphics{fig/fonctionnalisme.eps}

L'analyse du problème global va permettre de dégager un certain nombre de fonctionnalités qu'il s'agira de reproduire séparément les unes des autres, selon le schéma donné par la figure 1.6. Avant de construire un comportement, on va établir une mesure objective qui permettra de conclure que celui-ci est bien reproduit s'il est ``proche'' de celui qui est désiré, au regard de cette mesure. La mesure créée devient le référent pour l'expérimentateur. Dès lors que le problème initial (complexe) est résumé simplement par une donnée (la mesure), on peut utiliser la démarche de résolution spécifiée par la figure 1.7. Néanmoins, celle-ci est loin de garantir qu'on ait compris l'essence du phénomène imité. L'exemple de l'étude du mouvement des corps célestes nous permet d'imager nos propos en fournissant un exemple d'analyse réussie d'un problème, dont le modèle très compliqué donnait un bon résultat, mais dont l'approche était fausse 14. Cet exemple est marquant car il montre que le résultat dans un cas particulier (prévoir l'évolution de la planète Mars) est quasiment le même, bien que la conception analytique s'oppose à la démarche synthétique, qui stipule a priori l'existence d'une loi à partir de laquelle des phénomènes observables émergent (voir les figures 1.9 et 1.8). Nous pensons que le processus d'adaptation possède une certaine généralité et que, par conséquent, il n'est pas tributaire d'un problème particulier ou d'une certaine classe de problèmes.

Figure: Démarche analytique globale de conception d'un problème complexe
\includegraphics{fig/analyse_fonctionnaliste.eps}

Figure: Démarche analytique de conception d'une fonctionnalité
\includegraphics{fig/methode_resultat.eps}

Figure: Démarche synthétique de conception d'une fonctionnalité
\includegraphics{fig/methode_inductive.eps}

Figure: Démarche synthétique globale
\includegraphics{fig/analyse_loi.eps}

Nous souhaitons à présent aborder le point pour lequel la démarche analytique peut rentrer en conflit et nuire à l'utilisation d'un système adaptatif. Tout d'abord, lorsqu'on souhaite reproduire un comportement à partir d'une machine, une question doit logiquement être posée: Est-il réaliste de créer un algorithme permettant de reproduire ce comportement ?. Cela suppose que nous ayons des connaissances assez précises et suffisantes à propos du modèle de ce comportement pour que le résultat soit acceptable. Mais, ``réaliste'' signifie également que le temps de conception du programme n'est pas rédhibitoire et que celui-ci est maintenable. Si la réponse est affirmative, il est évident que le recours à une méthode d'apprentissage ne s'impose pas.
Cependant, dès qu'il s'agit de traiter des problèmes liés à l'interaction entre la machine et son environnement, il devient plus délicat de pouvoir produire un algorithme d'une manière directe (manque d'informations précises sur le modèle de l'interaction). Cela ne signifie pas qu'il est impossible de réaliser ``à la main'' un tel algorithme, mais on suppose que le temps de conception serait très long et le programme obtenu très compliqué: cela ne serait donc pas ``réaliste''. Dans ce cadre, on peut être intéressé par l'utilisation d'algorithmes d'apprentissage.
Cela ne signifie pas que l'ensemble du problème doit être appris en globalité. Ainsi, le travail de conception préliminaire consiste à distinguer les parties sujettes à l'apprentissage des autres pouvant être programmées ad hoc et à mettre en place l'interface entre les deux. Cela revient à répondre à ces deux questions: Que savons nous (avec certitude) ? Quelle est la nature de ce qui doit être appris ?, la deuxième question étant le corollaire de la première.
En fait, la démarche analytique, si elle est appliquée à la reproduction d'un processus mettant en jeu une interaction entre la machine et son environnement, va permettre de trouver des solutions, souvent approximatives, qui vont ``coller'' à un problème particulier. Or, quelle est la signification de l'adaptation, sinon la faculté de ``coller'' à un problème précis suffisamment bien, sans avoir de connaissances a priori sur celui-ci ? Par conséquent, dans le cas général, c'est davantage le concepteur du programme qui fait preuve d'adaptation au problème posé que le programme lui-même. Nous constatons en effet que le bon fonctionnement d'un algorithme d'apprentissage est corrélé à l'existence d'un contexte qui découle de l'analyse du problème initial.
Ainsi, en pratique, le point délicat d'un programme ayant recours à une technique d'apprentissage réside dans l'apport de connaissances a priori exactes, permettant de guider l'apprentissage: il s'agit d'un processus de contextualisation. Il est clair que dans le cas où ces données ou modèles sont trop approximatifs ou faux, ils vont orienter négativement le résultat final, sans que l'apprentissage lui-même soit la cause réelle de l'échec. Les algorithmes d'apprentissage sont créés en supposant l'existence d'un contexte précis, donc de connaissances a priori les plus exactes possible. Voici les principales:

  1. les paramètres internes et leur évolution au cours du temps, le cas échéant.
  2. les entrées et sorties et leur évolution au cours du temps, le cas échéant.
  3. une fonctionnalité permettant de juger de la qualité de l'apprentissage en cours (introduction d'une distance, d'une fonction de coût) et induisant la conduite vers un objectif précis.
D'autres causes de contextualisation peuvent exister dont, entre autres:
  1. des connaissances sur la particularité de l'environnement, composé d'un ensemble fini de symboles perceptifs (voir la discussion à ce propos au paragraphe 1.2.2)
  2. des connaissances à propos du fonctionnement des moyens de perception et d'action de la machine (utilisation de modèles)
Donc, pour pouvoir utiliser un algorithme d'apprentissage, l'expérimentateur est censé connaître (ou découvrir par tâtonnements) des éléments qui sont au coeur même du processus d'interaction entre la machine et son environnement. Il peut s'aider des propriétés ou du modèle de l'environnement de la machine. Mais toutes ces connaissances sont bien souvent approximatives et fondent un contexte erroné. L'expérience montre qu'il faut très souvent ``travailler'' autour de l'algorithme d'apprentissage pour que le résultat soit correct; et c'est particulièrement le cas si on utilise des techniques d'apprentissage par renforcement (voir [Bersini et Gorrini, 1996] en ce qui concerne la difficulté à trouver, dans certains cas, les ``bonnes'' valeurs des paramètres internes). Comme nous le décrirons dans la section 1.3, nous pensons que l'enjeu principal d'un système adaptatif est de pouvoir permettre à la machine d'apprendre avant tout à utiliser ses sens et ses moyens d'action, l'obtention du comportement désiré venant ensuite aisément: par conséquent, nous croyons qu'un ajout de connaissances orientant a priori la perception n'est pas souhaitable (car ces données ne sont pas connues exactement) et que le processus de perception doit lui-même subir un apprentissage, qui permettra l'acquisition correcte du comportement désiré. Ce processus de perception, une fois maîtrisé, contextualise correctement le problème principal, c'est-à-dire l'acquisition d'une nouvelle compétence. Notre point de vue est que l'apprentissage n'est pas un problème ``difficile'' si son contexte est parfaitement défini. Et c'est ce dernier point qui pose réellement problème. Ainsi, dans le cadre de l'apprentissage de réseaux neuronaux multicouches, le choix d'une base d'apprentissage ``brute'' représentative du phénomène est nécessaire, mais le pré-traitement des données de cette base et/ou la réduction de la dimensionnalité du problème peut être une aide considérable à l'apprentissage: ces deux éléments sont contextuels.


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Frédéric Davesne 2001-07-13