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Faculté d'anticipation: résultat de l'apprentissage et clé de l'usage des connaissances



Hypothèse _s   La différence essentielle entre l'apprentissage et l'utilisation des connaissances faisant suite à celui-ci réside dans le mode d'utilisation de la perception: alors que, dans la période d'apprentissage, les données perceptives sont utilisées pour bâtir la représentation mentale du problème, elles servent uniquement à valider ou invalider un ensemble de scenarii d'évolutions possibles du problème lorsqu'une représentation mentale de ce dernier existe. Par conséquent, nous supposons qu'un schéma classique perception/action n'est pas réaliste.





Hypothèse _s   L'apprentissage de bas niveau aboutit à la création de ``briques'' (que nous appelons informations perceptives) nécessaires à la résolution du problème réel dans toutes ses spécificités. Ces ``briques'', qui sont les motifs de base de la représentation mentale du problème, sont assemblées temporellement pour former l'ensemble des scenarii d'évolution du problème. La mémoire associée au problème est constituée exclusivement par ces scenarii.



À ce stade de notre discours, nous avons établi les bases d'un processus dans lequel la représentation mentale existe, sans avoir besoin de signaux extérieurs à l'individu: celle-ci est le reflet du monde environnant à travers l'expérience passée du sujet, matérialisée par la mémoire de celui-ci. En particulier, la représentation mentale n'est pas objective par nature, car elle ne peut pas discerner l'objet extérieur de la perception propre à l'individu qui interagit avec celui-ci: c'est l'interaction entre les deux qui est traduite par la représentation mentale.
L'objet de l'hypothèse 6 est de donner une réponse à la question: ``Comment gérer l'incertitude ?''. Elle donne un sens profond à l'existence de la représentation mentale: au cours de l'interaction entre l'entité et son environnement, elle lui permet d'anticiper ce qui va se produire dans un futur plus ou moins proche. Toutefois, nous devons apporter une précision majeure à ce que nous comprenons par ``anticipation''. Le phénomène que nous décrivons n'a pas pour objectif de prévoir exactement ce qui va arriver: ce serait d'une part objectivement irréaliste et, d'autre part, cela nierait le caractère, non prévisible par essence, de l'interaction entre l'entité et le monde extérieur. Le processus d'anticipation permet, à un instant donné, d'établir un ensemble restreint d'hypothèses dont une sera avérée dans le futur. Par conséquent, à un instant donné, on possède un ensemble de scenarii d'évolution. Et nous supposons qu'à un moment donné on connaîtra effectivement le scenario qui se déroule effectivement.
Pour illustrer ce discours, l'étude du comportement des hommes au sein des marchés financiers, évoquée par Sauvage [*], est révélatrice [Sauvage, 1999]. Ce domaine est objectivement l'un de ceux où le risque et l'incertitude sont les plus évidents. L'utilisation simple des probabilités voudrait que sur une longue période de temps, les résultats d'investisseurs ``avertis'' soient très proches les uns des autres. Or, on trouve deux contre-exemples célèbres à cela: Sorros et Buffet, ayant réalisé des performances nettement au dessus de la moyenne sur les 30 dernières années [*]. Pourtant, leurs stratégies respectives sont totalement opposées: Sorros effectue des placements sur des durées inférieures au mois, alors que Buffet a une vision basée sur le long terme (durée de placement supérieure à 5 ans). Cependant, ils ont en commun une capacité étonnante à contourner l'incertitude, chacun à sa façon. Ainsi, Sorros utilise pleinement le schéma d'établissement de scenarii tel que nous le présentons dans ce recueil: Sauvage dit: ``Pour Georges Sorros, l'évolution du marché ne résulte pas d'une succession de faits ou d'informations, mais de l'existence d'une dynamique sous-jacente [...]. Raisonner en termes de dynamique, c'est déterminer une trajectoire, d'où découle la capacité de faire des prédictions à très court terme sur l'évolution des cours; mais c'est aussi savoir qu'à tout moment, cette trajectoire peut être déviée pour une raison ou pour une autre, ce qui le conduit à une vigilance permanente afin de détecter le plus vite possible les changements d'une dynamique.''. La capacité d'anticipation de Sorros lui permet de créer des schémas d'évolution possibles, puis de détecter au plus vite celui qui est en train de se produire effectivement. Il faut noter que cette capacité n'est pas d'ordre ``intellectuel'': Sorros n'utilise aucune théorie économique, mais, comme il le déclare, agit avec du filling: ``Je réagis aux événements sur les marchés comme un animal réagit aux événements dans la jungle''. Buffet, quant à lui, se prémunit des fluctuations ``locales'' du marché, en effectuant des placements long terme sur des sociétés dont il anticipe le potentiel, tant objectif que subjectif (nature et cohésion de l'équipe dirigeante, par exemple).
L'existence de l'anticipation, énoncée par l'hypothèse 6, est essentielle pour comprendre le raisonnement qui a été développé dans la deuxième partie de ce document. Elle change radicalement la manière d'aborder la résolution d'un problème d'interaction perception/action. En effet, dans le cas ``classique'', on suppose qu'au moment présent (disons l'instant t), la réponse de l'entité aux données perceptives reçues à t (voire à t-1, t-2, etc.) est une fonction de ces dernières. Cela signifie concrètement que la réponse de l'entité par rapport à ces données perceptives ne peut être connue qu'à partir de l'instant t, et qu'elle dépend très fortement de celles-ci (lien fonctionnel). Cette réponse découlera des connaissances - a priori ou acquises par apprentissage - que possède l'entité à l'instant t, celles-ci définissant intégralement le lien fonctionnel entre les entrées du système (données perceptives) et les sorties (réaction de l'entité). Ce processus est schématisé par la figure 1.1. On voit bien que l'utilisation de la connaissance qu'on a sur le problème intervient au moment du choix de l'action, après l'instant t. Donc, ce choix est donné a posteriori, en retard par rapport aux perceptions qui l'ont engendré. Si on transpose ce processus au niveau comportemental humain, cela signifie que lorsqu'on accomplit une tâche, même routinière, il existerait un choix, conscient ou non, à chaque pas de temps, déterminant l'action adéquate à cet instant précis. En outre, cela implique que la tâche n'est pas perçue dans sa durée et sa globalité, et qu'on est incapable d'utiliser l'expérience passée pour prévoir la suite de la séquence d'actions à partir de cet instant t.
Au contraire, nous pensons que l'entité apprenante établit une représentation mentale du problème, composée d'un ensemble de scenarii, qui sont autant d'hypothèses d'évolution possibles du problème. Celles-ci sont des fragments de la représentation mentale globale du problème; donc, conformément aux hypothèses 4 et 5, elles ont été construites à partir de signaux perceptifs et émotionnels, ainsi qu'à partir d'actions internes et externes. Les signaux perceptifs sont utilisés au moment présent pour valider ou invalider chacune de ces hypothèses. Ainsi, la réalité de l'instant présent apparaît à l'entité comme l'ensemble des hypothèses d'évolution ``plausibles'' du problème, c'est-à-dire qu'une partie limitée de la représentation mentale du problème est ``active''. Ce point précis mérite d'être approfondi.
Nous pensons qu'une hypothèse (ou un scenario) ne peut être validée ou invalidée instantanément: les données perceptives, prises dans le temps, vont être utilisées pour renforcer ou diminuer le sentiment de justesse de l'hypothèse, pour aboutir à un moment donné à une certitude la concernant. Et c'est la sensation d'être certain qu'une hypothèse est correcte ou fausse qui conditionne la validation ou l'invalidation du scenario. La figure 1.2 montre que le processus que nous décrivons ne correspond pas au schéma décisionnel ``classique'' de la figure 1.1: on ne se préoccupe pas véritablement du choix d'une action précise à l'instant t, puisque celui-ci est exprimé dans les scenarii d'évolution possible du complexe perception/action. La tâche sera considérée comme correcte si les hypothèses sont régulièrement validées aux cours du temps. Ainsi, nous admettons que le besoin sécuritaire (qui sera précisé par l'hypothèse 10) se traduit, après apprentissage, par cette sensation de certitude qui doit accompagner la résolution du problème à chaque pas de temps. Ainsi, d'un point de vue interne à l'entité, la tâche à accomplir se décompose en une succession d'hypothèses ``actives''. D'autre part, on peut remarquer que le mécanisme de validation ou d'invalidation ne fait appel à aucun choix de la part de l'entité et que ce processus est en grande partie inconscient.

Figure: Schéma classique du traitement du phénomène d'association perception/action
\includegraphics[]{fig/perc_act_classique.eps}
À l'instant t, le système sélectionne l'action à exécuter en fonction de sa perception présente, voire de ses perceptions passées. Ce lien fonctionnel est exprimé, soit grâce à un modèle du problème auquel le système est confronté, soit à l'aide des connaissances acquises par apprentissage. Le principal problème d'un système réactif comme celui-ci est la dépendance forte de l'action à entreprendre par rapport aux perceptions reçues à l'instant t: pour que l'action ne soit pas erronée, cela suppose qu'on soit capable de traiter le signal reçu de manière à ce qu'il corresponde à une réalité objective (réalité induite par le modèle qu'on utilise ou par les connaissances acquises).

Figure: Schéma mettant en oeuvre un processus d'anticipation
\includegraphics[]{fig/anticip.eps}


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2002-03-01