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4 Processus de mémorisation

Nous venons de voir que le processus qui permet à l'entité P d'accomplir son choix rend compte d'un compromis entre l'étendue des choix proposés à l'instant t, qui ne doit pas être trop importante, et le choix restant à l'instant t+d qui doit être non vide. Nous supposons que le choix initial, à l'instant t, est le résultat d'un processus d'utilisation de la mémoire perceptive de la personne cobaye.
Le problème de la mémorisation soulève principalement quatre questions:
  1. Potentiellement, que peut contenir la mémoire ?
  2. Quelle est la nature de ce qui est mémorisé ?
  3. Comment utiliser le contenu de la mémoire afin de délivrer à l'entité P l'ensemble adéquat de scenarii ?
  4. Comment enrichir la mémoire ?
Avant de donner les grandes lignes de notre démarche, voici quelques pistes générales. Tout d'abord, les hypothèses 4 et 6 imposent que le contenu de la mémoire soit restreint par les possibilités perceptives de l'individu, dans le sens où ce contenu doit être cohérent avec une expérience perceptive passée, qui est elle-même issue du processus d'élagage décrit dans le paragraphe précédent: les capacités de perception et de mémorisation sont donc sous influence réciproque. D'autre part, la mémorisation va être caractérisée par la possibilité de créer des états internes distincts. L'évolution d'un état à l'autre traduit, d'une manière interne à l'entité, l'évolution du signal perceptif et constitue ce que nous avons appelé la ``représentation mentale'' de la scène. Cette définition souligne le caractère dynamique de la mémoire; elle sous-entend également que le passage d'un état à l'autre doit avoir un sens et n'être pas régi uniquement par le hasard.
Décrivons à présent le matériel de base, à partir duquel la constitution du processus de mémorisation va s'effectuer. Nous supposons l'existence d'un ensemble de n variables internes à P et d'une interprétation de celles-ci. Lorsque toutes ces variables possèdent une valeur déterminée, cela correspond au choix d'un scenario d'évolution unique (figure 1.17), dépendant de l'interprétation donnée à ces variables. Plus généralement, l'univers des possibilités est représenté par l'ensemble des valeurs que ces variables peuvent prendre (a priori, il s'agit d'un ensemble inclus dans $ \mathbb {R}$n). Le choix des scenarii prévisionnels à l'instant t s'effectue en restreignant les plages de variation des différentes variables. La restriction de l'ensemble des ``tuyaux'' sélectionnés à l'instant t va se traduire par une diminution de la plage de valeurs acceptables pour chacune des variables internes. Par conséquent, par référence à l'hypothèse 10, les valeurs des variables h et i, définies dans le cadre du processus de perception (voir le paragraphe 1.4.3), ne pourront être fixées qu'au regard de l'étendue des valeurs que les variables internes peuvent prendre (cela étant spécifié à l'instant t).
L'étendue des valeurs admissibles V[t, t + d] des variables internes, obtenue après le processus d'élagage, est caractéristique de la manière dont l'évolution du signal perceptif entre l'instant t et l'instant t+d est appréhendée par l'entité P: sa position dans l'univers des possibilités détermine un comportement d'évolution moyen et son aire désigne la ``liberté'' qui peut être accordée autour de ce comportement (voir la figure 1.18). Nous verrons au cours du chapitre 2 que la grandeur de cette aire est associée avec l'incertitude locale (entre les instants t et t+d) du processus de perception de l'entité P sur l'évolution objective du signal, qui est due à la fois aux erreurs de mesure et au fait que la trajectoire des tuyaux générés ne correspond pas tout à fait à l'évolution des valeurs du signal.
Considérons que l'entité P observe le signal entre les instants tinit et tfin $ \geq$ tinit + d. Nous allons nous intéresser à la suite des étendues des valeurs admissibles des variables internes, V[tinit, tinit + d], V[tinit + 1, tinit + 1 + d], ..., V[tfin - d, tfin]. À partir de cette suite, nous allons retenir une sous-suite nommée V0, V1,..., Vp, dont le nombre d'éléments est maximum, telle que V0 = V[tinit, tinit + d] et Vi$ \bigcap$Vi + 1 = $ \emptyset$ pour tout i $ \in$ {0, 1,..., p - 1}. À la limite, cette sous-suite peut-être réduite à l'élément V0.
Nous supposons que les Vi sont les éléments constitutifs de la mémoire, dans le sens où ils sont à la base des états internes. Toutefois, nous allons constater qu'un Vi ne doit pas former a priori un état unique à lui seul. En effet, comme l'hypothèse 10 nous y incite, nous supposons qu'une information mémorisée doit posséder des caractéristiques d'unicité telles que la probabilité qu'une information construite au hasard soit contenue dans la mémoire soit extrêmement faible. Ainsi, le processus de mémorisation, fondé dans notre cas par la création d'états, doit reposer sur un problème calqué sur le type générique mentionné dans le paragraphe 1.4.2. Voici l'énoncé de ce problème.
Considérons une entité M, qui sera notre ``personne cobaye''. Celle-ci choisit une suite V0, V1,..., Vp, possédant les propriétés que nous venons de définir. Nous supposons que chaque Vi est un résultat du processus d'élagage, donc qu'en particulier son étendue est strictement inférieure à celle de l'espace des variables internes à l'entité P. L'entité M effectue son choix, puis ouvre une ``boîte'' qui regroupe un ensemble de suites V'0, V'1,..., V'p toutes distinctes 35. Bien entendu, M ne connaît pas a priori le contenu de celle-ci. L'objectif, pour M, est de choisir une suite V'0, V'1,..., V'p qui ``corresponde'' avec une d'entre celles qui sont contenues dans la boîte, c'est-à-dire que Vi$ \bigcap$V'i $ \neq$ $ \emptyset$ pour tout i $ \in$ {0, 1,..., p}. L'observateur détermine a priori le nombre d'éléments que chaque suite doit comporter, mais il ne connaît pas le contenu de la boîte. Cependant, quel que soit le choix de l'observateur, le nombre de suites de la boîte reste inchangé.
On constate que l'observateur peut augmenter le nombre d'éléments de chaque suite de manière à ce que la probabilité pour que l'entité M trouve au hasard une suite qui corresponde avec une des suites de la boîte devienne aussi petite qu'il le souhaite. Ainsi, si l'entité M parvient à identifier une suite de la boîte dans de telles conditions, c'est qu'il existe une règle lui permettant de réussir cette tâche.
Nous supposerons qu'une suite V0, V1,..., Vp, avec p correctement choisi à partir de la remarque qui précède, constitue un élément de la mémoire, que nous nommerons information perceptive ou observation. Soulignons que l'entier p est choisi en fonction d'une probabilité de découverte au hasard d'un élément de la mémoire: cela signifie en particulier que le cardinal de l'ensemble des éléments mémorisés doit toujours être très inférieur à celui de l'univers des possibilités des suites à p éléments de type Vi. Par conséquent, lorsque p est fixé, on peut déterminer le nombre maximum de suites qui peuvent être mémorisées sans que la probabilité de trouver un élément de mémoire au hasard ne devienne trop importante (voir le chapitre 3).
Cette exigence d'une mémoire limitée par rapport à l'ensemble des possibilités perceptives signifie en particulier que le nombre des situations perceptives mémorisables n'est pas extensible indéfiniment, lorsque le nombre p est fixé. Or, l'augmentation de ce nombre p implique également une augmentation du temps écoulé avant d'atteindre un élément de mémoire, donc avant une reconnaissance éventuelle de situation. D'autre part, le nombre de situations mémorisables dépend également de la grandeur de l'aire de chaque Vi: plus celle-ci est importante, moins le nombre de Vi pouvant être mémorisés sera conséquent; comme chaque aire est associée à la précision du signal perçu, nous pouvons donc constater qu'il existe une relation entre la qualité du signal perçu et le nombre de situations perceptives mémorisables: c'est bien l'objectif sous-jacent à nos hypothèses déterminées dans la section 1.3. L'ensemble des résultats relatifs à cette relation est donné dans le chapitre 3.
Nous venons de répondre aux questions 1 et 2. Pour répondre à la question 3, il faut pouvoir structurer ces éléments de mémoire dans un ensemble cohérent. En effet, nous aimerions pouvoir utiliser la mémoire afin d'anticiper, à un instant donné, les perceptions futures; rappelons, à ce sujet, que le processus d'élagage de l'entité P donne une réponse Vi quasi-certaine à l'instant tfin à propos d'événements passés (entre les instants tinit et tfin ), ce qui donne une réponse a posteriori. Or, par définition de l'algorithme d'élagage, ce même Vi est un invariant de cet algorithme si on considère le même signal entre les instants tinit et tfin. Donc, si l'entité P sait, par expérience, que la séquence perceptive liée à Vi doit apparaître à l'instant tinit, elle peut effectuer cette hypothèse à ce moment, puis la valider grâce au processus d'élagage: si, à l'instant tfin, ce processus n'a pas conduit à une réduction totale des possibilités, c'est que l'hypothèse s'est justifiée. Le problème lié à la mémorisation de l'expérience perceptive passée est de pouvoir certifier le choix fait à l'instant tinit, dans les limites de cette expérience. Dans le cas où l'entité possède la certitude d'être dans un schéma perceptif déterminé, elle pourra utiliser l'élément de mémoire reconnu, donnant l'image mentale de l'évolution du signal entre les instants tinit et tfin, afin de prévoir l'évolution de celui-ci pour tout instant t compris entre tinit et tfin. Pour connaître l'élément de mémoire reconnu à un instant donné, nous utiliserons au cours du chapitre 3 une méthode similaire au processus d'élagage.
Enfin, l'enrichissement de la mémoire s'effectue lorsqu'une nouvelle information perceptive est découverte, dans la limite du nombre maximum d'informations que la mémoire peut contenir. Le terme ``découverte'' est défini suivant l'hypothèse 6. Ainsi, la découverte d'une nouvelle observation est vue comme un défaut d'anticipation, qui montre une contradiction issue de l'expérience entre une quasi-certitude a priori sur l'évolution perceptive et l'évolution du signal qui invalide a posteriori le scenario préétabli.
À partir du travail que nous avons effectué pour un signal mono-dimensionnel, nous donnons une possibilité immédiate de généralisation du processus de perception/mémorisation à un ensemble de signaux perceptifs (voir le chapitre 3): la dimensionnalité de chaque Vi sera égale à la somme des dimensionnalités des Vj associés à chaque signal. Toutefois, nous soulignons également que l'association de plusieurs signaux dans le contexte d'un même problème n'est probablement pas une donnée qui doit être fixée a priori mais un résultat en soi de l'expérience de l'entité.

Figure 1.17: Exemple de correspondance entre l'espace de perception et l'espace des variables internes.
\includegraphics{fig/equi_tuyau.eps}
Dans cet exemple, le choix de l'entité P à l'instant t se résume à un unique tuyau T(a0, b0) (section hachurée, sur la figure de gauche). Celui-ci est généré grâce à deux variables internes a et b (l'univers des possibilités est donc inclus dans $ \mathbb {R}$2), prenant, pour ce tuyau, les valeurs a0 et b0. Ces deux variables sont interprétées comme étant les deux paramètres définissant une droite (trajectoire du ``tuyau''). Sur la figure de droite, la génération de ce tuyau unique correspond à un point de coordonnées (b0, a0) de l'espace des variables internes; cette représentation est indépendante de l'interprétation des variables internes a et b.

Figure: Exemple de correspondance entre l'ensemble des scenarii d'évolution retenus à l'instant t+d et l'aire correspondante dans l'espace des variables internes.
\includegraphics{fig/ex_liberte.eps}
Sur la figure de gauche, seuls deux ``tuyaux'' sont représentés: ils correspondent aux cas extrêmes de trajectoires validées par le processus d'élagage. Sur la figure de droite, l'aire hachurée précise l'ensemble des couples (a,b) dont l'interprétation a été validée par ce processus.


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Frédéric Davesne 2001-07-13